La montre J12 possède cette capacité formidable de me transporter dans le temps et de me renvoyer en un éclair dans le passé, ce que j’adore.
Je me revois dans ma vie d’il y a vingt ans, Parisienne, fraîchement diplômée et engagée dans une agence de publicité, un peu angoissée par la fin du monde prédite par Paco Rabanne que je croise régulièrement boulevard Raspail, déjà collectionneuse de vernis à ongles Chanel, accro aux terrasses de café de la Rive gauche que j’envahis avec ma bande de copines.
La vie est belle, facile et insouciante (malgré Paco Rabanne).
Nous sommes tous attablés, sirotant nos cocas (light parce que le zéro n’existe pas encore), chacun arborant une montre au poignet. La mienne est petite, carrée, à quartz (oui, je sais…) et porte le patronyme d’un couturier et maroquinier italien. Il y de grands noms de l’horlogerie suisse tout autour de moi, principalement des marques de la Vallée de Joux. Je découvre celle de mon voisin. Impossible de la rater, elle est nonseulement magnifique mais c’est la première fois que je croise un tel modèle. “C’est une J12. De Chanel. Elle est automatique et en céramique noire”. Ah bon? Moi qui connais cette marque par cœur, qui suis les moindre faits et gestes de Karl Lagerfeld, qui dévore des yeux les défilés sur Paris Première, je me sens un peu bête tout d’un coup.
Nous sommes en l’an 2000 et la J12 et moi venons de faire connaissance. On me la prête quelques minutes pour que je puisse l’essayer et l’admirer (même si le bracelet réglé sur le poignet du monsieur est trois fois trop grand pour moi). Je me plonge dans son regard d’ébène, tout en caressant son corps si doux. Peut-être que je lui murmure des mots d’amour, peut-être que je lui fais la promesse secrète de la posséder un jour. Mais ce désir muet a de toute façon volé en éclat trois ans plus tard lorsque est née la J12 blanche.
Longtemps boudé, le blanc est devenu une couleur incontournable, que ce soit chez moi ou dans mon dressing. Non, en réalité, on peut même parler de véritable fascination. C’est une teinte qui me renvoie au passé elle aussi (décidément…), qui fait remonter en moi des souvenirs d’enfance, de rires avec mes frères mais aussi de disputes, de soleil, de cigales et d’odeurs de thym et d’huile d’olive. Les murs recouverts de chaux de la maison de mes grands-parents au bord de la Méditerranée, les nuages en pointillés qui perturbent paisiblement le ciel d’été, les robes légères que l’on porte sur la plage, les pieds dans le sable.
Le blanc, c’est la lumière, et la lumière met tout le monde de bonne humeur. Forcément, avec un tel esprit, la J12 et son manteau virginal, immaculé comme un flocon de neige, ne pouvaient que me plaire.
Vingt ans plus tard, je suis toujours attablée mais à Genève cette fois (et devant un coca zéro), en tête-à-tête avec une de mes meilleures amies. A son poignet, le Saint Graal de mes vingt-huit ans, la pureté parfaitement incarnée avec cet habit monochrome.
Comme je le fais tout le temps avec tout le monde (même des inconnus) lorsque je repère une montre qui m’intéresse, je demande si je peux l’essayer. Bien sûr. Je demande si je peux la prendre en photo. Bien sûr aussi. Je demande si je peux la garder toute la vie. Bien sûr… que non. Ma copine propose de me la prêter quelques semaines. Au moment où j’accepte, je sais que je vais pleurer le jour où il me faudra rendre ce modèle que je convoite avec tant d’ardeur.
Bizarrement, les montres blanches restent rares même si certains horlogers s’y mettent timidement. En 2003, si je fouille dans ma mémoire, je ne vois que
la J12. Les gens préfèrent sans doute des teintes plus démocratisées, plus passe-partout (ennuyeuses, quoi) comme le noir alors qu’une montre, c’est avant tout une émotion mais aussi un statement, une affirmation de sa personnalité.
Et contrairement aux idées reçues, le blanc va avec tout. Il illumine tout, il réveille tout. C’est aussi pour cette raison que j’aime l’acier, le titane et le platine: j’aime la lumière. Et la J12 la reflète comme nulle autre montre, même si Mickael ronchonne parce qu’il n’arrive pas à la photographier comme il le voudrait tellement elle brille.
Comme une étoile au poignet. Pas facile à capturer, certes, mais qui a envie de capturer les étoiles?
Le contact de la céramique sur la peau est aussi soyeux qu’une plume. A tel point que, fait inédit pour moi, je me suis endormie plusieurs nuits d’affilée avec la montre au poignet. C’est simple: je ne la sens pas tellement elle est légère.
Le boîtier mesure 38mm de diamètre, une taille unisexe. Parce que ça aussi c’est un détail que j’apprécie: la silhouette androgyne de la J12 qui peut être portée par une femme comme par un homme. La preuve, la première fois que j’ai croisé son chemin en 2000, elle était au bras d’un garçon. Son allure est unique, elle ne rentre dans aucune case. Ce n’est pas une montre sportive bien qu’elle en possède l’esprit, ni une montre de plongée bien qu’elle soit étanche jusqu’à 200m de profondeur, et encore moins une montre classique bien qu’avec le temps elle soit devenue un classique. A l’aise dans toutes les situations, elle se marie merveilleusement bien avec une tenue formelle telle qu’un tailleur – vêtement introuvable dans mon armoire – mais je préfère l’associer à une petite robe en coton blanc toute simple ou un short en jean et des Stan Smith.
L’année dernière, la J12 a fêté son dix-neuvième anniversaire, l’occasion pour Arnaud Chastaingt, le Directeur du Studio de Création Horlogerie Chanel depuis 2013, de modifier quelques détails ici et là, de la faire “changer sans changer” comme il le dit si bien. En mettant la nouvelle et l’ancienne côte-à-côte, on peut détecter ces petites transformations. Personnellement, je la trouve encore plus raffinée (comme si c’était possible), plus aboutie peut-être. Mais ce qui est important à mes yeux, amatrice d’horlogerie oblige, c’est le nouveau cœur qui anime ses fonctionnalités que j’estime essentielles (les heures, minutes, secondes au centre et la date à 4h30: je n’ai besoin de rien d’autre), le calibre 12.1 de manufacture qui délivre 70 heures de réserve de marche. Et 70 heures, quand la majorité des montres tourne autour de 42 heures, quand on a des enfants et qu’on vit comme un bolide lancé à pleine vitesse entre les repas, la sortie de crèche, les devoirs, le bain, c’est un luxe dont je ne veux plus jamais me passer.
Je fête mes 45 ans dans quelques mois et je sais déjà ce que je vais réclamer comme cadeau d’anniversaire.