• Histoires naturelles

    Dans mon environnement quotidien gravitent autour de moi celles que j’appelle “les marques-doudous”. Rien à voir avec le vieux lapin blanc tout usé que ma fille emporte partout et sans lequel elle ne peut pas s’endormir (bon, plus maintenant vu qu’elle a quand même bientôt quinze ans). Une marque-doudou, c’est une marque qu’on chérit car on l’a connue au cours de son enfance, qui a accompagné notre croissance, sur laquelle on porte un regard tendre, peut-être un brin nostalgique parfois, et en qui on a une confiance aveugle (un peu comme un ami, un vrai ami). Il arrive parfois qu’on en perde en cours de route, soit parce qu’elles ne s’adressent plus à nous et qu’il y a une évolution tarissant la relation, soit parce que cette confiance justement a été rompue pour une raison X. Aujourd’hui, ces marques-doudous, je les compte sur les doigts de la main (un peu comme les amis, d’ailleurs). 

    Robe Modetrotter, bagues Vanessa Martinelli, montre 1858 Geosphere de Montblanc
    © Mickael Gautier

    A mes yeux (et dans mon cœur), Montblanc fait partie de ce minuscule panel de marques-doudous. Elle est profondément ancrée dans l’histoire de ma famille, mes parents étant tous les deux de grands fans du Meisterstück dont ils possèdent toutes les déclinaisons possibles. Quand j’étais jeune, je souhaitais devenir écrivain et mon père m’a souvent dit que les écrivains et les grands journalistes n’écrivaient qu’avec un Montblanc. Plus tard, à l’âge de quinze ans, il m’a offert mon premier Meisterstück. Ce joli souvenir me fait sourire parce que même si je ne suis pas devenue l’auteure que je rêvais d’être, j’ai devant moi ma petite collection d’instruments d’écriture aux bouchons coiffés de la fameuse étoile blanche étalée sur mon bureau alors que j’écris ces quelques lignes. Avec ce premier stylo-plume, je suis entrée dans l’univers de l’entreprise hambourgeoise et j’ai, avec les années, découvert le reste de ses gammes, notamment la maroquinerie (surtout à cause de ma mère) et la petite maroquinerie (surtout à cause de mon mari). Je savais qu’il existait des montres signées Montblanc mais je ne m’y suis réellement intéressée qu’en devenant journaliste spécialisée en horlogerie. 

    Blouson en cuir Kookai, bagues Vanessa Martinelli, montre 1858 Geosphere de Montblanc
    © Mickael Gautier

    Tout a changé pour moi le jour où Davide Cerrato a pris les commandes du département Montres de Montblanc fin 2015. J’aimais déjà ce que l’entreprise produisait mais son arrivée a marqué la naissance quelques mois plus tard d’une de mes collections horlogères préférées: 1858. Visuellement, les montres de cette ligne m’ont tout de suite tapé dans l’œil. Mécaniquement, je savais, pour m’être rendue trois fois dans la manufacture de Villeret, qu’elles étaient rythmées par des moteurs impeccables. Et physiquement/ergonomiquement… Vous souvenez de mon conseil, n’est-ce pas? Toujours toujours toujours passer un garde-temps au poignet avant de l’acheter. C’est ce que j’ai fait avec la 1858 Geosphere dont la version avec cadran vert et NATO kaki présentée au SIHH est un de mes coups de foudre de l’année. Bon, je ne l’ai pas achetée, je n’en ai malheureusement pas les moyens bien que son prix (comme celui des montres Montblanc en général) soit extrêmement “réaliste”, compétitif. Une belle montre automatique en bronze avec de tels affichages (heures, minutes, date, second fuseau horaire et heures du monde avec indicateur jour/nuit) à 6’380 francs suisses, honnêtement… je n’en ai jamais vue! Bref, afin de la tester réellement, je l’ai empruntée à Davide Cerrato himself pour quelques semaines, histoire de lui faire partager mon quotidien avant de la rendre à son créateur. 

    Gilet en cachemire Manor, lunettes de soleil Knockaround, bagues Vanessa Martinelli, montre 1858 Geosphere de Montblanc © Mickael Gautier

    Etre la montre d’une femme active mère de deux enfants dont un en bas âge n’est pas chose facile. Comme pour toutes les pièces que je porte, je ne lui ai rien épargné. Si elle n’a pas pris l’avion bien qu’elle soit taillée pour les voyages, elle a toutefois vécu d’autres aventures, elle pris des giclures de purée, donné le bain, couru après le bus, participé à des conférences de presse, fait des balades au grand air, subi les assauts affectueux de mes chats… Et son robuste boîtier en bronze patiné n’a pris aucune rayure, son bracelet en textile est toujours impeccable. Vu que je ne fais pas partie de ces personnes qui aiment assortir le genre de leur montre au style de leur vêtements (le classique avec le formel, le sportif avec le décontracté, le féminin pour les femmes et le masculin pour les hommes, etc… quel ennui!) et que je m’habille beaucoup avec des couleurs “naturelles” comme le camel, le beige ou les différentes nuances de vert, de l’émeraude à l’amande en passant par le kaki, je ne me suis posée aucune question. Elle va avec tout. Et l’avantage de son diamètre de 42mm mais aussi de son NATO réglable, c’est qu’elle convient aussi bien à des poignets menus comme le mien qu’à des plus larges à l’instar de celui de mon mari qui ne s’est pas gêné pour me la piquer de temps en temps. Qu’elle soit sur Mickael ou sur moi, l’effet reste le même: la 1858 Geosphere fascine. Famille, confrères, amis, collègues ont tous loué son graphisme unique, sa couleur vibrante. Nous n’avons reçu que des compliments et aux rares personnes qui ignoraient que Montblanc faisait des montres ou qui étaient sceptiques parce que bêtement restés bloqués sur les instruments d’écriture, nous leur avons raconté l’histoire de Minerva, la qualité des produits, le confort au porter, la vision et la touche de Davide Cerrato. “Tiens, prends-la dans la main, essaye-la au poignet, et tu verras” (ce qu’a fait mon fils un jour, la Geosphere traînant sur mon bureau, ce qui m’a presque valu un arrêt du cœur quand je l’ai vue entre ses petits doigts). 

    Montre 1858 Geosphere de Montblanc, boîtier en bronze, cadran kaki et mouvement automatique
    © Mickael Gautier

    Forcément, ce qui attire le regard, notamment celui de mon petit garçon (!), ce sont ces deux demis-globes placés vers midi et 6h qui présentent les heures du monde de façon intuitive. Rotatifs, les hémisphères en relief évoluent sur un rythme de 24 heures et portent la graduation des 24 fuseaux horaires. Comme je l’écrivais plus haut, nous n’avons pas eu l’occasion de voyager dernièrement, en tout cas pas hors de Suisse. Cependant, nous avons profité d’une sortie en famille non pas pour traverser les fuseaux horaires mais remonter le temps puisque “notre” Geosphere a accompagné mes enfants à DinoWorld, une exposition de dinosaures en grandeur nature ou presque en pleine campagne genevoise à deux pas de notre maison. Ensuite, elle s’est promenée au bord du lac Léman avant d’assister à un match de basketball de rue sous la douceur du soleil d’automne. Comme un membre supplémentaire de notre foyer. Comme l’a toujours été cette marque-doudou qu’est Montblanc depuis mon enfance et qui compte avec une cliente de plus depuis deux ans: ma fille.

    Robe Modetrotter, bagues Vanessa Martinelli, montre 1858 Geosphere de Montblanc
    © Mickael Gautier

  • Et si demain…?

    Ce matin, alors que la nature a pu respirer sereinement pendant plus de deux mois, notre monde rouvre ses portes. J’imagine que nous sommes nombreux à redouter ce moment que certains considèrent comme une libération, ce fameux “déconfinement“ (quel affreux néologisme!). Pour moi, il représente une source d’angoisses supplémentaires (ceux qui me connaissent savent à quel point je suis quelqu’un d’anxieux) même si de notre côté, nous ne reprendrons pas le chemin du travail “physique“ tout de suite. Mickael va continuer à bosser depuis la maison et Melchior n’ira pas à la crèche. Mon cerveau tourne au ralenti, comme un vieux disque dur saturé, et les idées contradictoires fusent et ne cessent de se télescoper au fond de ma petite tête. Je n’arrive pas à me réjouir de cette sortie de crise un peu illusoire. Il y a trop de doutes en moi pour la vivre sereinement. De la colère aussi, mais également des questions quant à notre avenir.

    Le fameux petit train rouge qui passe par La Givrine

    Dimanche matin, nous nous sommes autorisés une promenade dans la nature. Pas juste les dix minutes de balades quotidiennes en solo devant mon immeuble pour permettre à Neus de se soulager mais une vraie sortie tous les trois, Mickael, Melchior et moi. J’aurais aimé qu’Alix soit avec nous mais malheureusement, elle est toujours confinée chez son père. Respirer l’air pur de la montagne, caresser les paysages vallonnés et arborés des yeux, fouler la terre en prenant garde de n’écraser aucun insecte, aucune fleur. S’émerveiller devant un papillon, un escargot, un bouton d’or. Sourire au soleil en écoutant les oiseaux chanter. Tous ces moments simples qui nous ont tant manqué depuis deux mois, depuis le 15 mars. Si la Suisse a opté pour un semi-confinement, le nôtre en tant que famille a été total. J’avais trop peur. J’ai toujours trop peur.

    Première sortie depuis le 15 mars

    Ce bain de verdure n’a pas été une sorte de “wake up call“ pour moi parce que j’aime et je respecte la nature. Et un de mes rêves est de m’installer à la campagne ou d’acheter un chalet en montagne pour pouvoir nous enfuir le weekend, de vivre dans une maison autonome, eco-friendly, alimentée par énergie solaire et recyclage d’eau de pluie et avec un grand terrain pour laisser mes animaux en liberté et en accueillir d’autres. Si je le vois déjà cet habitat green pour héberger notre famille, cependant, il ne vit que dans ma tête pour le moment… Etre une Laura Ingalls mais encore virtuelle. Cette escapade au cœur de la forêt m’a une fois de plus ouvert les yeux sur la beauté du monde et sur la nécessité impérative et urgente de le protéger. On ne peut pas continuer à lui baiser la gueule par notre égoïsme, nos désirs imbéciles et notre cupidité éhontée. Je pense qu’il est plus que temps que nous revoyions nos modes de consommation, que nous pensions local plus que global, que nous rendions à la terre le respect de ce qu’elle nous donne. Bref, un discours que vous avez maintes fois lu ou entendu mais qu’il faudrait vraiment mettre en pratique, d’autant plus que ce covid-19 n’est pas KO, qu’il n’y a ni remède pour le soigner ni vaccin pour le prévenir. Et surtout je pense que ce n’est pas le dernier petit microbe qui va mettre notre planète à genoux parce qu’à force de niquer les écosystèmes, on libère ou on créé de nouvelles saloperies dangereuses pour nous-mêmes.

    Heureux <3

    Je ne vais pas me lancer maintenant dans un discours écologique. Je n’en ai pas l’énergie. Je souhaite juste construire un demain plus beau, plus solidaire et plus honnête que notre hier; qu’on apprenne à se poser les bonnes questions si ça n’a pas été fait pendant le confinement, voire avant le confinement. Parce que le monde d’hier, je n’en veux pas pour moi et encore moins pour mes enfants. Le problème, c’est le collectif. Et faire bouger une masse qui consomme comme elle respire… Vous aussi vous avez sans doute été bombardés d’e-mails pour vous annoncer la réouverture de boutiques. Parce que forcément là maintenant tout de suite, il faut dépenser, faire tourner l’économie, garnir nos dressings de fringues inutiles… Quand on voit le comportement de certains qui ne portent pas de masques pour des raisons qui me dépassent, qui ne respectent pas les distances sociales. Jouer à la roulette russe avec soi-même, pourquoi pas, mais avec la vie des autres… Un peu comme ces gros cons qui prennent le volant bourrés ou qui conduisent en envoyant des sms… Ça me tétanise.

    “wild and free“

    De mon côté, je suis émotionnellement et physiquement épuisée. Il a fallu tout gérer, vraiment tout, en même temps tout en subissant la pression professionnelle, et il va falloir continuer. Parce que Melchior ne peut pas retourner à la crèche qui n’accueille qu’une poignée d’enfants et parce qu’une fois de plus, j’ai trop peur. Depuis le début de cette crise sanitaire, on nous bassine que les gamins n’attrapent pas le virus. C’est faux. Peut-être sont-ils plus immunisés et résilients que les adultes mais ils peuvent quand même choper cette saloperie et la transmettre à d’autres. Et puis maintenant, on nous parle de la maladie de Kawasaki. Moi ça me terrifie tout ça. Et ce qui me terrifie le plus… le laxisme de nos dirigeants. Comment faire confiance à des gens qui ont ignoré les premiers signaux de la future pandémie, qui nous ont convaincu que le port du masque était inutile avant de nous convaincre qu’il était essentiel, qui sont incapables de rassurer les parents. Il y a tellement de non-dits, d’allers-retours dans les discours que je ne me sens pas du coup en confiance. 

    Deux heures de marche en pleine nature

    Je suis perdue et pars un peu dans tous les sens, je le sais. La seule chose dont je sois certaine, c’est de ne pas vouloir reprendre ma vie d’avant. Je veux voir mes enfants grandir, passer plus de temps avec mon fils qui a énormément appris en si peu de temps et retrouver ma fille qui me manque terriblement. Je veux rendre visite à ma mère à Barcelone, à mon père à Paris, à mes grands-parents à Ibiza dès que nous aurons à nouveau le droit de voyager. Je veux prendre soin de mon petit nid dans lequel je ne me suis jamais sentie prisonnière ces deux derniers mois, réaménager la chambre d’Alix, repeindre le salon, réagencer la terrasse. Je veux consommer autrement, ce que nous faisons déjà depuis longtemps mais aller plus loin dans cette démarche. Je veux consacrer plus de temps à l’évolution de ce blog mais aussi voir mon autre projet se développer. Je veux écrire, écrire, écrire. Lire, dessiner, créer, materner, bercer, consoler, émerveiller et aimer de toutes mes forces. Et je veux faire tout ça avec l’esprit tranquille.

    On est biiiien! © Mickael Gautier