Oui, la tendance 2020 est de se plaindre constamment, et à travers tous les supports possibles, de la crise sanitaire que nous vivons. De gémir comme un animal blessé de devoir porter un masque, de ne pas pouvoir faire de shopping ni aller au restaurant, d’être obligé de limiter les contacts et les déplacements au strict minimum.
J’avoue que moi aussi la situation me perturbe, m’angoisse, mais bousculer mes petites habitudes pour le bien-être de tous ne me dérange pas.
De l’empathie pour les commerçants et les entreprises qui se prennent des baffes monumentales dans la gueule depuis mars, j’en ai. De l’admiration pour le personnel soignant qui bosse comme des connards 24/7, j’en ai encore plus.
En prenant du recul, l’essentiel est là: mes enfants sont en bonne santé, mes proches se portent bien, nous avons tous un toit sur la tête et à manger dans nos assiettes. Le reste n’est que fioriture. Vraiment.
Nous gérons la séparation comme nous le pouvons, avec les outils à notre disposition et nous nous apprêtons à passer les fêtes chacun de notre côté. C’est triste mais c’est comme ça. Je préfère me priver de mes parents, de mes frères et de ma soeur, sacrifier un Noël tous ensemble, pour pouvoir mieux les retrouver plus tard.
Et Dieu sait que ma famille me manque, que je ne me suis jamais sentie aussi isolée en Suisse, loin de ceux que j’aime le plus au monde. Le virus m’a séparée de ma fille pendant 4 mois et croyez-moi, 4 mois sans voir son enfant, c’est long, c’est dur à vivre.
Cependant, cette année que tout le monde veut voir disparaître, comme si en 2021, pfiou! le virus allait se volatiliser le 1er janvier à minuit, ne m’a pas empêchée de vivre des moments de joie. Retrouver ma fille après cet éloignement difficile, renforcer les liens avec mes amies, accueillir deux magnifiques bébés, rêver de nouveaux projets. La vie est différente mais elle est toujours là. A nous d’être résilients, d’être responsables et solidaires, de nous adapter.
A tous ceux qui se plaignent, se sentent prisonniers, j’ai juste envie de leur demander s’ils aiment leurs parents. Parce que moi j’aime les miens, j’aime ma mère, j’aime mon père. L’idée qu’ils puissent tomber malades, qu’un médecin ait à choisir lequel des deux sauver, me terrorise.
Et tous ces risques que je ne prends pas, toutes ces mesures aussi inutiles puissent-elles sembler que je respecte, je le fais pour eux.
Il est 12:25, je suis encore en long t-shirt de coton, un vieux gilet en laine sur le dos, face à l’écran de mon iMac.
Je maintiens cette position et ce look dégueulasse depuis 8:30, l’heure à laquelle mon fils est parti à la crèche avec son père.
Je n’ai pas sorti le chien et elle me lance des coups d’œil discrets de temps en temps, histoire de me rappeler qu’elle existe et qu’elle a une vessie.
Mais c’est la dernière ligne droite avant l’imprimerie et mon chien a pris l’habitude d’attendre.
Je tourne la tête et j’observe mes chats, allongés sur le parquet baigné de soleil, qui font leur toilette, insensibles à mon stress, comme les petits connards égoïstes qu’ils sont.
Dans quelques minutes, ma partie du travail sera terminée, ma graphiste en or avec qui je travaille main dans la main prendra le relai et moi je sauterai sous la douche.
Je mettrai une tenue décente, sortirai enfin mon chien et peut-être que moi aussi je passerai l’après-midi allongée sur le parquet à profiter du soleil comme une connasse égoïste.
La nuit, alors que la maison est endormie depuis longtemps, la lumière reste allumée sur mon bureau.
Je suis attablée, le nez plongé dans mes notes, les yeux rougis par mon écran et la fatigue.
Depuis combien de temps n’ai-je pas dormi plus de cinq heures? Des semaines? Des mois? Je ne m’en souviens pas.
La nuit, les idées naissent, l’imagination se réveille.
Ma modeste plume me transporte vers d’autres siècles. Les siècles de tous les possibles.
Et lorsque mon récit est terminé, lorsque l’aube fait poindre ses lueurs, je sors sur la terrasse pour les cueillir Fumer cette dernière cigarette avant d’aller me reposer. Et à chaque fois, je suis surprise de me retrouver dans le monde moderne.
La nuit, je rêve que ma plume soit une baguette magique et me réunisse avec Abraham-Louis.
Parfois mon homme me voit sortir en courant de la salle de bains, enroulée dans une serviette humide, les cheveux trempés, pour me précipiter sur mon clavier et le malmener en frappant rageusement sur ses touches.
La douche est un moment de détente qui me permet de libérer les idées qui dorment en moi, celles que j’ai tellement bien rangées dans mon cerveau que je ne les retrouve plus, celles qui sont déjà là mais dont je n’ai pas encore conscience et celles qui naissent sous le jet brûlant.
Inscrire immédiatement ce qui traverse ma tête en un éclair et disparaîtra tout aussi vite, mouillée, dégoulinante et angoissée.
Parce que oui, écrire angoisse mais écrire libère.
Et écrire se moque du savon non rincé, du shampoing qui mousse encore derrière les oreilles.
Il y a quelques années, j’aurai été hystérique à l’idée de ne pas être joignable.
Mais là, au contraire, pendant 5 jours, je me suis sentie soulagée. Soulagée de ne pas avoir la pression d’un potentiel appel alors que j’ai horreur de parler au téléphone. Soulagée de pouvoir uniquement prendre des photos, envoyer des messages, lire la presse, vagabonder sur les réseaux sociaux. Soulagée d’être coupée du monde lorsque hors de portée de mon wifi.
Et sereine parce qu’avec mes enfants et mon homme, sans téléphone, sans risque d’être dérangée. Encore mieux que le mode ”avion”.
Il n’y a qu’une seule personne qui sait comment me joindre en cas d’urgence puisque je n’ai pas de ligne fixe non plus.
J’aime toutes les fonctionnalités qu’offre mon téléphone… sauf le téléphone.
Malheureusement, ma nouvelle carte SIM vient d’arriver.
Le jour viendra où il me faudra expliquer à mon petit garçon ce qu’est le racisme comme je l’ai fait il y a quelques années avec ma petite fille
Ma petite fille blanche, mon petit garçon blanc et leur maman… pas blanche
Le prévenir qu’il y aura peut-être des enfants à l’école qui lui demanderont pourquoi sa mère n’a pas la même couleur de peau, de cheveux, d’yeux
Lui dire qu’il subira des réflexions bêtes et méchantes, qu’il entendra peut-être des questions débiles et des “ta maman est africaine?”
Le préserver quand on questionnera notre lien filial et charnel devant lui pour des histoires de ressemblance physique, que je serai obligée de sortir ma carte d’identité ou mes crocs lorsqu’on me prendra pour sa “nounou mauricienne”
Lui faire comprendre le soulagement que j’ai ressenti à la naissance de chacun de mes enfants en découvrant leur joli teint rose parce que ne pas être blanc est un handicap dans ce monde de blancs et encore plus quand on porte un prénom à la con comme moi, que ça m’a pris des décennies avant d’accepter d’être Indienne et que je ne suis pas encore sûre de l’assumer
Lui apprendre que je ne suis pas “exotique”, que les personnes qui me renvoient constamment à mes origines en me parlant de mon bronzage, de poulet au curry, parfois en faisant des gestes vers leur visage pour rire de ma couleur de peau n’ont rien de drôles
Lui dire que ce délit de faciès, cette stigmatisation constante que je subis depuis plus de 40 ans et qui dégénère en violence pure pour d’autres personnes jusqu’au meurtre porte un nom: le racisme
Lui rappeler que les races n’existent que pour les animaux, que nous appartenons tous à la même espèce – l’humanité-, que nous sommes faits de chair, de sang et d’amour
Le jour viendra où je n’aurais rien à expliquer à mon petit garçon parce que toutes ces conneries auront disparu, que les hommes et les femmes auront enfin appris à s’aimer et se respecter.
Ce matin, alors que la nature a pu respirer sereinement pendant plus de deux mois, notre monde rouvre ses portes. J’imagine que nous sommes nombreux à redouter ce moment que certains considèrent comme une libération, ce fameux “déconfinement“ (quel affreux néologisme!). Pour moi, il représente une source d’angoisses supplémentaires (ceux qui me connaissent savent à quel point je suis quelqu’un d’anxieux) même si de notre côté, nous ne reprendrons pas le chemin du travail “physique“ tout de suite. Mickael va continuer à bosser depuis la maison et Melchior n’ira pas à la crèche. Mon cerveau tourne au ralenti, comme un vieux disque dur saturé, et les idées contradictoires fusent et ne cessent de se télescoper au fond de ma petite tête. Je n’arrive pas à me réjouir de cette sortie de crise un peu illusoire. Il y a trop de doutes en moi pour la vivre sereinement. De la colère aussi, mais également des questions quant à notre avenir.
Dimanche matin, nous nous sommes autorisés une promenade dans la nature. Pas juste les dix minutes de balades quotidiennes en solo devant mon immeuble pour permettre à Neus de se soulager mais une vraie sortie tous les trois, Mickael, Melchior et moi. J’aurais aimé qu’Alix soit avec nous mais malheureusement, elle est toujours confinée chez son père. Respirer l’air pur de la montagne, caresser les paysages vallonnés et arborés des yeux, fouler la terre en prenant garde de n’écraser aucun insecte, aucune fleur. S’émerveiller devant un papillon, un escargot, un bouton d’or. Sourire au soleil en écoutant les oiseaux chanter. Tous ces moments simples qui nous ont tant manqué depuis deux mois, depuis le 15 mars. Si la Suisse a opté pour un semi-confinement, le nôtre en tant que famille a été total. J’avais trop peur. J’ai toujours trop peur.
Ce bain de verdure n’a pas été une sorte de “wake up call“ pour moi parce que j’aime et je respecte la nature. Et un de mes rêves est de m’installer à la campagne ou d’acheter un chalet en montagne pour pouvoir nous enfuir le weekend, de vivre dans une maison autonome, eco-friendly, alimentée par énergie solaire et recyclage d’eau de pluie et avec un grand terrain pour laisser mes animaux en liberté et en accueillir d’autres. Si je le vois déjà cet habitat green pour héberger notre famille, cependant, il ne vit que dans ma tête pour le moment… Etre une Laura Ingalls mais encore virtuelle. Cette escapade au cœur de la forêt m’a une fois de plus ouvert les yeux sur la beauté du monde et sur la nécessité impérative et urgente de le protéger. On ne peut pas continuer à lui baiser la gueule par notre égoïsme, nos désirs imbéciles et notre cupidité éhontée. Je pense qu’il est plus que temps que nous revoyions nos modes de consommation, que nous pensions local plus que global, que nous rendions à la terre le respect de ce qu’elle nous donne. Bref, un discours que vous avez maintes fois lu ou entendu mais qu’il faudrait vraiment mettre en pratique, d’autant plus que ce covid-19 n’est pas KO, qu’il n’y a ni remède pour le soigner ni vaccin pour le prévenir. Et surtout je pense que ce n’est pas le dernier petit microbe qui va mettre notre planète à genoux parce qu’à force de niquer les écosystèmes, on libère ou on créé de nouvelles saloperies dangereuses pour nous-mêmes.
Je ne vais pas me lancer maintenant dans un discours écologique. Je n’en ai pas l’énergie. Je souhaite juste construire un demain plus beau, plus solidaire et plus honnête que notre hier; qu’on apprenne à se poser les bonnes questions si ça n’a pas été fait pendant le confinement, voire avant le confinement. Parce que le monde d’hier, je n’en veux pas pour moi et encore moins pour mes enfants. Le problème, c’est le collectif. Et faire bouger une masse qui consomme comme elle respire… Vous aussi vous avez sans doute été bombardés d’e-mails pour vous annoncer la réouverture de boutiques. Parce que forcément là maintenant tout de suite, il faut dépenser, faire tourner l’économie, garnir nos dressings de fringues inutiles… Quand on voit le comportement de certains qui ne portent pas de masques pour des raisons qui me dépassent, qui ne respectent pas les distances sociales. Jouer à la roulette russe avec soi-même, pourquoi pas, mais avec la vie des autres… Un peu comme ces gros cons qui prennent le volant bourrés ou qui conduisent en envoyant des sms… Ça me tétanise.
De mon côté, je suis émotionnellement et physiquement épuisée. Il a fallu tout gérer, vraiment tout, en même temps tout en subissant la pression professionnelle, et il va falloir continuer. Parce que Melchior ne peut pas retourner à la crèche qui n’accueille qu’une poignée d’enfants et parce qu’une fois de plus, j’ai trop peur. Depuis le début de cette crise sanitaire, on nous bassine que les gamins n’attrapent pas le virus. C’est faux. Peut-être sont-ils plus immunisés et résilients que les adultes mais ils peuvent quand même choper cette saloperie et la transmettre à d’autres. Et puis maintenant, on nous parle de la maladie de Kawasaki. Moi ça me terrifie tout ça. Et ce qui me terrifie le plus… le laxisme de nos dirigeants. Comment faire confiance à des gens qui ont ignoré les premiers signaux de la future pandémie, qui nous ont convaincu que le port du masque était inutile avant de nous convaincre qu’il était essentiel, qui sont incapables de rassurer les parents. Il y a tellement de non-dits, d’allers-retours dans les discours que je ne me sens pas du coup en confiance.
Je suis perdue et pars un peu dans tous les sens, je le sais. La seule chose dont je sois certaine, c’est de ne pas vouloir reprendre ma vie d’avant. Je veux voir mes enfants grandir, passer plus de temps avec mon fils qui a énormément appris en si peu de temps et retrouver ma fille qui me manque terriblement. Je veux rendre visite à ma mère à Barcelone, à mon père à Paris, à mes grands-parents à Ibiza dès que nous aurons à nouveau le droit de voyager. Je veux prendre soin de mon petit nid dans lequel je ne me suis jamais sentie prisonnière ces deux derniers mois, réaménager la chambre d’Alix, repeindre le salon, réagencer la terrasse. Je veux consommer autrement, ce que nous faisons déjà depuis longtemps mais aller plus loin dans cette démarche. Je veux consacrer plus de temps à l’évolution de ce blog mais aussi voir mon autre projet se développer. Je veux écrire, écrire, écrire. Lire, dessiner, créer, materner, bercer, consoler, émerveiller et aimer de toutes mes forces. Et je veux faire tout ça avec l’esprit tranquille.
J’aurais pu intituler cet article “comment occuper un enfant de deux ans et demi pendant un mois de confinement sans avoir envie de le balancer par la fenêtre dix fois par jour“… Oui, je sais que c’est un peuhardcore d’entrée de jeu mais honnêtement ce n’est pas évident de cumuler en une seule journée sa vie de maman et son travail de journaliste. Parce que le télétravail zen, les cours de yoga/cuisine/couture/maquillage sur YouTube ou la méditation sur Instagram, c’est une douce illusion surtout quand on est parent. Pour commencer, il faut pouvoir gérer intérieurement l’inquiétude que génère cette situation inédite qu’est le confinement, la frustration de devoir sacrifier ses envies égoïstes de chillertranquilou dans le canapé avec un bouquin dans les mains ou tout simplement de… bosser! Pas le temps de (trop) cogiter ni de prendre (un peu) soin de soi quand on vit avec ce petit machin d’à peine un mètre au caractère bien trempé, trop jeune comprendre ce qu’est le covid-19, car s’il est super charmant sur Instagram, c’est un casse-noisettes miniature dans la vraie vie!
La première semaine a été vraiment difficile avec Melchior. Son rythme habituel s’est vu chamboulé: plus de crèche et un papa et une maman à la maison. Un peu comme un très très long weekend. Son sommeil est devenu perturbé et il s’est mis à réclamer que l’un de nous deux reste près de lui le temps de sombrer dans les bras de Morphée, une grande première. Mais surtout, il n’a pas compris pourquoi sa sœur, restée confinée chez mon ex mari, n’était pas là ni pourquoi il ne pouvait pas sortir la voir. Nous avons eu droit à des crises à fendre le cœur parce que Melchior mettait son anorak, prenait la clé de la maison et essayait d’ouvrir la porte d’entrée en pleurant comme une madeleine, en criant Aliiix, en suppliant qu’on aille la chercher. Impossible de lui expliquer que sortir était devenu dangereux donc face à son désespoir, nous avons fait un appel vidéo avec elle pour que frère et sœur puissent être virtuellement réunis. Découvrir le visage de ma grande fille sur l’écran et entendre sa voix a rassuré mon petit garçon et apaisé mon cœur de maman. Même crise pour voir mon frère Lucas, indéniablement l’oncle préféré des enfants et rebaptisé “Kunkass“ par Melchior, et même recours à la vidéo pour consoler les gros chagrins.
Comme je l’ai expliqué dans un article précédent, le salon/salle à manger a été totalement réaménagé en salle de jeux/bureaux. Mickael et moi bossons (ou tentons de bosser…) sur la grande table, divisée en deux zones pour accueillir nos postes de travail. Dans le salon, nous avons poussé le canapé, le fauteuil et la table basse contre les murs pour dégager un espace dédié au petit bordel de Melchior qui navigue entre cette salle de jeux improvisée et sa chambre pour jouer à la dînette avec ma chienne Neus et ma chatte Nayla (les pauvres). L’essentiel se compose de sa grande table sur laquelle il fait ses activités “artistiques“ et déjeune parfois, deux grands bacs débordant de voitures, son vieux trotteur qu’on a surnommé “la tondeuse“, quelques peluches pour la déco, son machin de musique dont j’ignore le nom mais qui diffuse des comptines et berceuses africaines (son méga kif), etc. Là, en théorie, on aurait pu souffler de soulagement en se félicitant d’avoir trouvé la solution pour pouvoir être en famille tout en ayant chacun ses activités, son petit coin à soi… Mais non! Notre fils possède une autonomie d’environ cinq minutes avant de venir me tirer par la manche “viens maman“ et d’insister comme un dingue pour que je m’exécute. Nous aurions pu planifier un emploi du temps strict genre Mickael bosse le matin et moi l’après-midi ou desshifts de deux heures, mais 1) ce n’est pas possible avec Melchior et 2) je me base sur mon inspiration pour travailler et celle-ci ne se commande pas (ou alors je n’ai toujours pas trouvé le bouton…).
En dehors des inlassables courses de voitures, j’ai mis en place quelques loisirs créatifs basiques qu’Alix adorait quand elle était petite comme les dessins au feutre/crayon/peinture ou la pâte à modeler, des moments qui demandent un minimum de concentration et de patience… Le modèle préféré de Melchior? Je vous le donne en mille: les voitures! Les camions aussi, histoire de rester dans le même registre. Et parfois, si j’ai de la chance, Melchior me demande de lui dessiner ou façonner un avion, une fleur, un escargot, un soleil. Ou des trucs un peu plus WTF comme une carotte bleue… Nous avons aussi peint des œufs pour Pâques, que j’ai préalablement vidés, dont il était super fier. J’avoue que je m’éclate plus que lui et que je dois ravaler ma frustration quand il vient mettre un gros coup de pinceau ou de feutre sur mes petites œuvres.
Nous avons la chance d’avoir une grande terrasse et des journées ensoleillées, et ces moments de beau temps (on se serait cru en été) ont été l’occasion de sortir un paquet de grosses craies tout neuf trouvé dans la boîte d’échanges entre voisins (pour une fois qu’ils servent à quelque chose, ceux-là) afin de dessiner sur les dalles en ciment. Melchior s’y est mis timidement mais je crois que ça lui a plu. Sur la terrasse, nous faisons des bulles qu’il aime attraper en riant comme une baleine et qui font aboyer le chien. Il adore aussi pousser sa “tondeuse“ en courant et en criant “attention, attention!“. Neus a failli se faire renverser plusieurs fois… Comme nous ne pouvons plus sortir, mon fils veut parfois que je le promène en poussette… dans l’appartement! Je pense que ce sera un des premiers trucs à faire lorsque nous serons à nouveau libres: faire une longue balade avec la Yoyo, aller rendre visite aux petits moutons de la ferme de Budé avant de nous diriger vers l’aire de jeux du parc Trembley pour des descentes de toboggan plus que méritées!
Bien avant le confinement, Melchior nous ayant montré un grand intérêt pour les lettres, nous avons acheté des alphabets sous forme de cubes en bois et de livres éducatifs Montessori. Donc, en plus d’avoir énormément étoffé son vocabulaire et amélioré son élocution ces dernières semaines, il a appris à reconnaître et nommer presque toutes les lettres et sait épeler son prénom. Il s’amuse d’ailleurs avec les logos qui ornent les t-shirts de son père. Une autre de ses passions: les livres. Depuis qu’il est tout petit, on lui en achète régulièrement et il a déjà une bonne bibliothèque. Il aime feuilleter, observer chaque détail des dessins, écouter un peu l’histoire. Je dois raconter, pas lire, car il est trop pressé de tourner les pages. Il aime les aventures de Bébé Loup, la collection “Petit garçon“ (j’ai collé une étiquette sur ce titre que je trouve naze… les petites filles aussi ont envie de rouler dans un camion ou voler dans un avion, non mais!), les livres sur les formes, chiffres, noms des animaux.
Et sinon, je crois que je n’ai jamais autant commandé de jouets en ligne de ma vie… Depuis la mi-mars, Melchior a reçu l’équivalent de trois anniversaires et noëls, histoire de l’occuper et de le stimuler un peu plus. Tout a commencé avec l’achat d’un mini panier de basket que son père a ramené en faisant les courses hebdomadaires. J’ai renchéri avec plusieurs boîtes de Playmobil® 1-2-3, et Mickael a répondu avec un train Duplo® et son circuit. Et comme il n’a pas fait les choses à moitié, j’ai l’impression d’avoir l’équivalent de la carte des chemins de fer français dans mon salon… Je m’en fous car je me suis bien vengée… Les délais livraisons ont fortement été rallongés puisqu’on est un peu tous comme des cons à faire exploser le e-commerce ces dernières semaines mais j’ai hâte de recevoir le reste du bazar que j’ai commandé pour Melchior et me faire gentiment traiter de folle par mon mec.
En dehors des jeux, mon petit garçon aime bien participer aux tâches ménagères comme vider le lave-vaisselle, ranger casseroles et assiettes dans les placards, trier les déchets (hé oui!), mettre la table, passer le balai et jouer au petit commis de cuisine. Il se perche sur un tabouret voire s’assied sur le plan de travail et picore dans les légumes détaillés ou malaxe les oranges et me les tend pour que je les presse. J’ai hâte qu’il soit un peu plus grand pour que nous puissions préparer les repas ensemble.
D’un côté, j’aimerais tellement qu’il retourne à la crèche pour que je puisse souffler un peu, rattraper le retard sur mon boulot ou terminer la biographie de Karl Lagerfeld que je viens de commencer, mais d’un autre… même si je ronchonne souvent, j’adore l’avoir dans les pattes!
Stupeur. C’est ce que je ressens quelques heures avant de décoller de La Havane où je viens de passer trois jours fin février lorsque Yoann, mon ex mari, m’annonce que je ne vais pas pouvoir voir Alix dès mon retour à Genève. Parce que j’ai transité par des gares et aéroports, parce que je suis restée enfermée longtemps dans un train puis trois avions, parce que j’ai fréquenté beaucoup trop de monde pendant ce séjour cubain, me voilà privée de ma fille. Ce putain de covid-19 vient de faire son entrée sur le territoire suisse donc pour le bien de notre enfant et celui de notre entourage, on ne peut prendre aucun risque. A La Havane, dans ma superbe chambre d’hôtel que bercent un fond musical joyeux et un temps doux, j’ai lu la presse française, regardé TV5 en boucle, gagnée par l’appréhension. C’est sans doute pour cette raison que je ne me suis absolument pas opposée à la décision de Yoann. Au contraire, je l’ai soutenue.
La semaine après mon retour à Genève est des plus étranges, comme plongée dans une autre réalité, une réalité faite d’ébahissement et de méfiance. J’imagine qu’on est nombreux à vivre cette ambiance pesante, à avancer à tâtons dans un quotidien qu’on ne comprend plus, à tenter d’anticiper les contours d’un confinement qui n’en est pas encore un. Mickael et moi faisons quelques courses. De quoi tenir deux semaines (au lieu d’une) pour éviter de retourner tout de suite dans un supermarché mais sans sombrer dans la paranoïa qui visiblement pousse certains à dévaliser les rayons, à stocker des denrées comme si on était en guerre. C’est assez impressionnant, angoissant, déstabilisant de voir ces étalages vides.
La stupeur ne me quitte pas. Elle s’intensifie lorsqu’on apprend, parmi un tas d’autres informations, que l’école d’Alix ferme, que la crèche de Melchior ferme, que les bureaux, les commerces, les frontières… tout ferme… mais que nous devons quand même continuer à travailler. Le télétravail, c’est bon, je maîtrise puisque ça fait plus de trois ans que je bosse à la maison… mais avec un petit bonhomme de deux ans et demi dans les pattes? Je revis la terreur et la nervosité subies peu après la naissance de Melchior quand je devais m’occuper de mon bébé et écrire des articles en même temps, que j’étais à deux doigts d’exploser parce que je n’arrivais pas à gérer simultanément mon rôle de maman et mon emploi de journaliste. Et surtout, comment trouver la motivation pour pondre des textes quand le monde part en sucette? Quelle organisation mettre en place pour que Mickael et moi puissions travailler sereinement alors que notre fils n’est pas suffisamment grand pour comprendre la situation, pour jouer tranquilou dans sa chambre? Et quand est-ce que je vais pouvoir revoir ma fille? Toutes ces questions me tétanisent.
Le premier weekend après le discours de Macron puis celui du Conseil Fédéral, nous décidons de nous promener une dernière fois dans Genève. Regarder Melchior glisser dans le toboggan puis traverser les parcs qui nous mènent près de la gare où se trouve l’un de nos restaurants préférés. Ce soir-là, mon cheeseburger a le goût des adieux. J’observe les quelques clients qui dînent. J’ai peur. Et le lendemain, on part à la campagne se balader, à cinq minutes de voiture de chez nous. Mais croiser des promeneurs même s’ils se font rares m’angoisse terriblement. J’ai trop peur. C’est dur, c’est chiant, mais on doit rester à la maison, l’extérieur est devenu un endroit hostile, un terrain sur lequel je refuse de m’aventurer et certainement pas en famille.
Cette stupeur ne me lâche toujours pas. Cependant, Mickael réussit à me tirer de cette atonie dans laquelle je me suis réfugiée. On s’organise. On revoit l’agencement du salon qu’on transforme en salle de jeux pour Melchior. On descend nos ordinateurs qu’on installe sur la table de la salle à manger. La pièce à vivre n’a jamais aussi bien porté son nom: on mange, on bosse, on joue dans ce grand espace qui donne sur la terrasse. Je me sens chanceuse de vivre dans un tel appartement. Nous profitons du confinement pour accrocher des tableaux, cuisiner de bons petits plats, regarder la 4ème saison de La casa de papel et la 3ème d’Ozark, rempoter les plantes, nous reposer. Etre ensemble, tout simplement.
A la deuxième semaine d’enfermement, la stupeur est partie. Je promène le chien tous les matins, cinq minutes. Le temps d’une cigarette. La sortie du soir, c’est Mickael qui s’en charge. Là encore, je me sens chanceuse, heureuse d’avoir un tel homme à mes côtés. Si le confinement est néfaste pour certains couples – je ne parle pas des femmes battues ni des victimes de pervers narcissiques –, s’il provoque des tensions, ce n’est pas le cas chez nous. Il a apporté une proximité qui me rassure. J’enlace et j’embrasse mon amoureux des dizaines de fois par jour. Sa force m’aide à garder les pieds sur terre.
Les heures défilent, les activités s’enchaînent. J’essaye d’être imaginative pour que Melchior, qui a mal vécu les premiers jours de confinement et a beaucoup réclamé Alix et son oncle Lucas. On fait des jeux, de la peinture, des bulles de savons, des parties de basket, de la pâte à modeler, des dessins au feutre sur papier ou à la grosse craie sur le sol de notre terrasse, des constructions de Lego, des courses de voitures. Melchior a beaucoup évolué en l’espace d’un mois. Son vocabulaire s’est enrichi, son élocution est plus fluide. Il a appris l’alphabet et sait épeler son prénom. Nous sommes émerveillés par ses progrès, sa capacité d’observation. Petit à petit, il devient autonome, commence à jouer seul.
Honnêtement, le fait de nous retrouver tous les trois, d’avoir un rythme différent du quotidien qu’on croyait rassurant, cette sensation de vacances sans être en vacances, me fait un bien fou. J’ai un peu honte de l’avouer surtout quand je vois tous ces gens se plaindre sur les réseaux sociaux d’être enfermés. Je comprends leur frustration, leur tristesse, leur vulnérabilité. Forcément, dans cette situation, toutes les émotions sont amplifiées. Et le chômage partiel n’arrange rien. Puis, il y a ces questions qui nous titillent: comment sera l’après-coronavirus, le fameux “déconfinement“ qu’évoque la presse? Ce néologisme, je le déteste, il me fait penser à “déconfiture“ et moi, cet enfermement, je ne le vis absolument pas comme un échec, une source de sentiments négatifs. Au contraire, il m’est bénéfique en me permettant de prendre soin de ma famille, d’avoir un rythme plus sain, de réfléchir, de découvrir de nouveaux moyens d’expression créative, de nouvelles idées et de nouvelles envies. Il m’ouvre les yeux sur la vie que je veux vivre. Il dévoile un aspect de ma personnalité qui me motive. Je me sens bien avec mon homme et mon fils près de moi. Et si je pouvais serrer ma fille contre mon cœur, ça serait merveilleux. Nos retrouvailles n’en seront que plus émouvantes. Je sais que ce jour-là je vais pleurer. Beaucoup. Et qu’elle, en bonne adolescente, montrera un visage à la fois ému et perplexe.
Demain, quand nous serons à nouveau libres, beaucoup de choses vont fleurir de cette expérience étrange, de cette aventure inédite, et nous regarderons la vie autrement. Pour moi, la “normalité“ telle que nous la connaissions n’existe plus et c’est tout ce que je nous souhaite.