Premier aveu: j’aime le gris. Ou plutôt, je voue un véritable culte au gris. C’est une passion qu’on pourrait même qualifier d’obsession.
L’histoire d’amour entre cette couleur et moi ne date pas d’hier, je crois que ça doit faire au moins un quart de siècle que je fais partie de son fan club. Mon dressing est un autel dédié au gris, décliné dans toutes ses tonalités, qui fait sa loi parmi le reste de la palette chromatique qu’on trouve habituellement dans une armoire. De grands tiroirs abritent mes t-shirts, de longues étagères accueillent mes baskets, une partie de ma penderie regroupe des robes et de hautes piles voient les jeans s’entasser. Tout est gris.
J’ai aussi une collection impressionnante de pulls en cachemire gris, l’équivalent de la “petite robe noire”, qui pour l’œil non averti, non éduqué, se ressemblent tous mais pour les maniaques comme moi, ont tous leur propre identité.
Contrairement à ce que l’on pourrait croire, le gris est une couleur extrêmement lumineuse, vivante, pleine de nuances. Nettement moins commune, ennuyeuse et austère que le noir qui en plus durcit les traits, le gris réveille le teint et se marie avec toutes les couleurs, des plus traditionnelles aux plus funky. Bref, cette adoration explique aussi pourquoi je ne porte, au poignet comme aux doigts ou autour du cou, que des métaux dits blancs (bien qu’ils soient gris, clair certes mais gris quand même…) comme l’acier, le titane, l’argent, le platine et l’or blanc. J’aime leur discrétion et leur élégance, et mon regard se dirige systématiquement vers les montres “grises” que ce soit dans la vitrine d’un détaillant ou au bras de quelqu’un.
Deuxième aveu: quand j’ai découvert l’Octo Finissimo, mon premier réflexe a été de dire simplement “Oh”.
En fait, je n’ai pas su comment réagir, moi la grande bavarde. Est-ce qu’elle me plaît? Est-ce qu’elle ne me plaît pas? Rien. Juste “Oh”. Je suis restée perplexe, étonnée, indécise.
Ensuite, j’ai pris du recul pour mieux l’observer, bien aimé sa couleur, sa finition mate, cet esprit furtif apporté par le ton-sur-ton gris éléphant, mais trouvé sa forme trop anguleuse pour moi qui suis toute en rondeurs tant dans mon corps que ma personnalité. Il paraît que c’est la malédiction des icônes, une sorte de rituel sacré, un passage obligé avant la gloire. Je visualise ça comme un tunnel où règne l’obscurité, tellement étroit qu’il faut s’accroupir, avancer doucement à quatre pattes vers lalumière (oui, j’ai une imagination débordante, je sais). Mais tout ça pour dire que les plus grandes montres, celles qu’on qualifie d’icônes, celles qui traversent
le temps, celles que tout le monde s’arrache, ont été snobées à leurs débuts, connu le désespoir du rejet puis la première marche du podium.
Pour cette Bvlgari, certains ont tout de suite détecté son potentiel de superstar. Pas moi. Il m’a fallu plus de temps, pour l’apprivoiser, pour qu’elle m’apprivoise. Je la trouvais belle sur le poignet des autres mais…
C’est (encore) une de mes copines qui a changé la donne – j’ignore comment je ferais sans elles! – en mettant un chronographe GMT Octo Finissimo en titane entre mes mains. Et soudain, toutes ses qualités m’ont sauté aux yeux. J’ai été bluffée par la finesse de ce record du monde, par sa légèreté. Il a fallu lui retirer beaucoup de maillons (8 très exactement) pour qu’elle soit confortablement calée sur ma peau. C’est sans doute idiot mais je me suis vraiment sentie privilégiée d’avoir cette beauté, je l’ai portée pendant quelques semaines avec un plaisir immense.
Et puis quelques mois plus tard, mon poignet a à nouveau eu la chance d’accueillir une Octo Finissimo, toujours en titane mais en version deux- aiguilles (ce que je préfère). Et là… gros gros crush… je peux affirmer que, malgré son jeune âge, c’est en effet une icône, une des rares montres contemporaines à qui on peut donner ce titre. Pas parce qu’elle me plaît mais à cause (ou grâce?) au succès qu’elle rencontre.
Je le dis sans une once de vulgarité, en toute franchise et avec énormément de tendresse: l’Octo Finissimo est “un aspirateur à mecs”. Elle éveille l’intérêt, suscite la curiosité, collectionne les œillades, c’est im-pre-ssio- nnant! En quinze ans d’horlogerie, je n’ai jamais vécu une telle expérience avec une montre. Jamais. Où que j’aille avec elle au poignet, on me pose des questions sur elle, on me demande de la retirer pour pouvoir l’admirer de plus près, on attend mon autorisation pour la passer.
Et puis les gens ont rarement l’habitude de la voir portée par une femme. Elle séduit les amis qui la découvrent “en vrai”, les confrères qui rêvent de se l’offrir, les designers d’autres marques. Quand j’aperçois les yeux de mon interlocuteur dévier vers mon bras, je la retire et je la lui tends en lui disant “Oui, tu peux” parce que j’ai senti dans son regard cette admiration que j’ai moi- même vécu avec le chronographe GMT.
Au cours des Geneva Watch Days fin août, après avoir passé la journée à sautiller d’un rendez-vous à l’autre, je me suis offert une pause déjeuner (grand luxe!) au bord du Rhône et sous le soleil. Pour contenter mon estomac, je suis allée chercher un sandwich au rayon traiteur d’un supermarché. C’est très banal, oui. Ce qui l’est moins, c’est d’entendre, au moment de récupérer mon panino, le serveur me demander timidement “C’est une Bvlgari? Celle qui a des records du monde?”. Devant mon air agréablement surpris, il m’a posé des questions sur l’Octo Finissimo, m’a dit qu’il la trouvais magnifique. J’ai souri. La force d’une icône, elle est là. Dans ce type de moment ordinaire, dans ce lieu ordinaire, face à quelqu’un qui n’est pas du sérail. Je n’étais pas entourée de mes confrères, ni en visite dans une manufacture ou dans une soirée horlogère avec des amateurs de montres: je me trouvais dans un supermarché du centre ville. Accompagnée d’une superstar.
Troisième aveu: je ne vais jamais jamais la rendre…