• Et si demain…?

    Ce matin, alors que la nature a pu respirer sereinement pendant plus de deux mois, notre monde rouvre ses portes. J’imagine que nous sommes nombreux à redouter ce moment que certains considèrent comme une libération, ce fameux “déconfinement“ (quel affreux néologisme!). Pour moi, il représente une source d’angoisses supplémentaires (ceux qui me connaissent savent à quel point je suis quelqu’un d’anxieux) même si de notre côté, nous ne reprendrons pas le chemin du travail “physique“ tout de suite. Mickael va continuer à bosser depuis la maison et Melchior n’ira pas à la crèche. Mon cerveau tourne au ralenti, comme un vieux disque dur saturé, et les idées contradictoires fusent et ne cessent de se télescoper au fond de ma petite tête. Je n’arrive pas à me réjouir de cette sortie de crise un peu illusoire. Il y a trop de doutes en moi pour la vivre sereinement. De la colère aussi, mais également des questions quant à notre avenir.

    Le fameux petit train rouge qui passe par La Givrine

    Dimanche matin, nous nous sommes autorisés une promenade dans la nature. Pas juste les dix minutes de balades quotidiennes en solo devant mon immeuble pour permettre à Neus de se soulager mais une vraie sortie tous les trois, Mickael, Melchior et moi. J’aurais aimé qu’Alix soit avec nous mais malheureusement, elle est toujours confinée chez son père. Respirer l’air pur de la montagne, caresser les paysages vallonnés et arborés des yeux, fouler la terre en prenant garde de n’écraser aucun insecte, aucune fleur. S’émerveiller devant un papillon, un escargot, un bouton d’or. Sourire au soleil en écoutant les oiseaux chanter. Tous ces moments simples qui nous ont tant manqué depuis deux mois, depuis le 15 mars. Si la Suisse a opté pour un semi-confinement, le nôtre en tant que famille a été total. J’avais trop peur. J’ai toujours trop peur.

    Première sortie depuis le 15 mars

    Ce bain de verdure n’a pas été une sorte de “wake up call“ pour moi parce que j’aime et je respecte la nature. Et un de mes rêves est de m’installer à la campagne ou d’acheter un chalet en montagne pour pouvoir nous enfuir le weekend, de vivre dans une maison autonome, eco-friendly, alimentée par énergie solaire et recyclage d’eau de pluie et avec un grand terrain pour laisser mes animaux en liberté et en accueillir d’autres. Si je le vois déjà cet habitat green pour héberger notre famille, cependant, il ne vit que dans ma tête pour le moment… Etre une Laura Ingalls mais encore virtuelle. Cette escapade au cœur de la forêt m’a une fois de plus ouvert les yeux sur la beauté du monde et sur la nécessité impérative et urgente de le protéger. On ne peut pas continuer à lui baiser la gueule par notre égoïsme, nos désirs imbéciles et notre cupidité éhontée. Je pense qu’il est plus que temps que nous revoyions nos modes de consommation, que nous pensions local plus que global, que nous rendions à la terre le respect de ce qu’elle nous donne. Bref, un discours que vous avez maintes fois lu ou entendu mais qu’il faudrait vraiment mettre en pratique, d’autant plus que ce covid-19 n’est pas KO, qu’il n’y a ni remède pour le soigner ni vaccin pour le prévenir. Et surtout je pense que ce n’est pas le dernier petit microbe qui va mettre notre planète à genoux parce qu’à force de niquer les écosystèmes, on libère ou on créé de nouvelles saloperies dangereuses pour nous-mêmes.

    Heureux <3

    Je ne vais pas me lancer maintenant dans un discours écologique. Je n’en ai pas l’énergie. Je souhaite juste construire un demain plus beau, plus solidaire et plus honnête que notre hier; qu’on apprenne à se poser les bonnes questions si ça n’a pas été fait pendant le confinement, voire avant le confinement. Parce que le monde d’hier, je n’en veux pas pour moi et encore moins pour mes enfants. Le problème, c’est le collectif. Et faire bouger une masse qui consomme comme elle respire… Vous aussi vous avez sans doute été bombardés d’e-mails pour vous annoncer la réouverture de boutiques. Parce que forcément là maintenant tout de suite, il faut dépenser, faire tourner l’économie, garnir nos dressings de fringues inutiles… Quand on voit le comportement de certains qui ne portent pas de masques pour des raisons qui me dépassent, qui ne respectent pas les distances sociales. Jouer à la roulette russe avec soi-même, pourquoi pas, mais avec la vie des autres… Un peu comme ces gros cons qui prennent le volant bourrés ou qui conduisent en envoyant des sms… Ça me tétanise.

    “wild and free“

    De mon côté, je suis émotionnellement et physiquement épuisée. Il a fallu tout gérer, vraiment tout, en même temps tout en subissant la pression professionnelle, et il va falloir continuer. Parce que Melchior ne peut pas retourner à la crèche qui n’accueille qu’une poignée d’enfants et parce qu’une fois de plus, j’ai trop peur. Depuis le début de cette crise sanitaire, on nous bassine que les gamins n’attrapent pas le virus. C’est faux. Peut-être sont-ils plus immunisés et résilients que les adultes mais ils peuvent quand même choper cette saloperie et la transmettre à d’autres. Et puis maintenant, on nous parle de la maladie de Kawasaki. Moi ça me terrifie tout ça. Et ce qui me terrifie le plus… le laxisme de nos dirigeants. Comment faire confiance à des gens qui ont ignoré les premiers signaux de la future pandémie, qui nous ont convaincu que le port du masque était inutile avant de nous convaincre qu’il était essentiel, qui sont incapables de rassurer les parents. Il y a tellement de non-dits, d’allers-retours dans les discours que je ne me sens pas du coup en confiance. 

    Deux heures de marche en pleine nature

    Je suis perdue et pars un peu dans tous les sens, je le sais. La seule chose dont je sois certaine, c’est de ne pas vouloir reprendre ma vie d’avant. Je veux voir mes enfants grandir, passer plus de temps avec mon fils qui a énormément appris en si peu de temps et retrouver ma fille qui me manque terriblement. Je veux rendre visite à ma mère à Barcelone, à mon père à Paris, à mes grands-parents à Ibiza dès que nous aurons à nouveau le droit de voyager. Je veux prendre soin de mon petit nid dans lequel je ne me suis jamais sentie prisonnière ces deux derniers mois, réaménager la chambre d’Alix, repeindre le salon, réagencer la terrasse. Je veux consommer autrement, ce que nous faisons déjà depuis longtemps mais aller plus loin dans cette démarche. Je veux consacrer plus de temps à l’évolution de ce blog mais aussi voir mon autre projet se développer. Je veux écrire, écrire, écrire. Lire, dessiner, créer, materner, bercer, consoler, émerveiller et aimer de toutes mes forces. Et je veux faire tout ça avec l’esprit tranquille.

    On est biiiien! © Mickael Gautier
  • Un mois de confinement

    Stupeur. C’est ce que je ressens quelques heures avant de décoller de La Havane où je viens de passer trois jours fin février lorsque Yoann, mon ex mari, m’annonce que je ne vais pas pouvoir voir Alix dès mon retour à Genève. Parce que j’ai transité par des gares et aéroports, parce que je suis restée enfermée longtemps dans un train puis trois avions, parce que j’ai fréquenté beaucoup trop de monde pendant ce séjour cubain, me voilà privée de ma fille. Ce putain de covid-19 vient de faire son entrée sur le territoire suisse donc pour le bien de notre enfant et celui de notre entourage, on ne peut prendre aucun risque. A La Havane, dans ma superbe chambre d’hôtel que bercent un fond musical joyeux et un temps doux, j’ai lu la presse française, regardé TV5 en boucle, gagnée par l’appréhension. C’est sans doute pour cette raison que je ne me suis absolument pas opposée à la décision de Yoann. Au contraire, je l’ai soutenue.

    La semaine après mon retour à Genève est des plus étranges, comme plongée dans une autre réalité, une réalité faite d’ébahissement et de méfiance. J’imagine qu’on est nombreux à vivre cette ambiance pesante, à avancer à tâtons dans un quotidien qu’on ne comprend plus, à tenter d’anticiper les contours d’un confinement qui n’en est pas encore un. Mickael et moi faisons quelques courses. De quoi tenir deux semaines (au lieu d’une) pour éviter de retourner tout de suite dans un supermarché mais sans sombrer dans la paranoïa qui visiblement pousse certains à dévaliser les rayons, à stocker des denrées comme si on était en guerre. C’est assez impressionnant, angoissant, déstabilisant de voir ces étalages vides. 

    Dernière promenade à la campagne © Mickael Gautier

    La stupeur ne me quitte pas. Elle s’intensifie lorsqu’on apprend, parmi un tas d’autres informations, que l’école d’Alix ferme, que la crèche de Melchior ferme, que les bureaux, les commerces, les frontières… tout ferme… mais que nous devons quand même continuer à travailler. Le télétravail, c’est bon, je maîtrise puisque ça fait plus de trois ans que je bosse à la maison… mais avec un petit bonhomme de deux ans et demi dans les pattes? Je revis la terreur et la nervosité subies peu après la naissance de Melchior quand je devais m’occuper de mon bébé et écrire des articles en même temps, que j’étais à deux doigts d’exploser parce que je n’arrivais pas à gérer simultanément mon rôle de maman et mon emploi de journaliste. Et surtout, comment trouver la motivation pour pondre des textes quand le monde part en sucette? Quelle organisation mettre en place pour que Mickael et moi puissions travailler sereinement alors que notre fils n’est pas suffisamment grand pour comprendre la situation, pour jouer tranquilou dans sa chambre? Et quand est-ce que je vais pouvoir revoir ma fille? Toutes ces questions me tétanisent. 

    Le premier weekend après le discours de Macron puis celui du Conseil Fédéral, nous décidons de nous promener une dernière fois dans Genève. Regarder Melchior glisser dans le toboggan puis traverser les parcs qui nous mènent près de la gare où se trouve l’un de nos restaurants préférés. Ce soir-là, mon cheeseburger a le goût des adieux. J’observe les quelques clients qui dînent. J’ai peur. Et le lendemain, on part à la campagne se balader, à cinq minutes de voiture de chez nous. Mais croiser des promeneurs même s’ils se font rares m’angoisse terriblement. J’ai trop peur. C’est dur, c’est chiant, mais on doit rester à la maison, l’extérieur est devenu un endroit hostile, un terrain sur lequel je refuse de m’aventurer et certainement pas en famille. 

    Dernière glissade sur le toboggan © Mickael Gautier

    Cette stupeur ne me lâche toujours pas. Cependant, Mickael réussit à me tirer de cette atonie dans laquelle je me suis réfugiée. On s’organise. On revoit l’agencement du salon qu’on transforme en salle de jeux pour Melchior. On descend nos ordinateurs qu’on installe sur la table de la salle à manger. La pièce à vivre n’a jamais aussi bien porté son nom: on mange, on bosse, on joue dans ce grand espace qui donne sur la terrasse. Je me sens chanceuse de vivre dans un tel appartement. Nous profitons du confinement pour accrocher des tableaux, cuisiner de bons petits plats, regarder la 4ème saison de La casa de papel et la 3ème d’Ozark, rempoter les plantes, nous reposer. Etre ensemble, tout simplement.

    A la deuxième semaine d’enfermement, la stupeur est partie. Je promène le chien tous les matins, cinq minutes. Le temps d’une cigarette. La sortie du soir, c’est Mickael qui s’en charge. Là encore, je me sens chanceuse, heureuse d’avoir un tel homme à mes côtés. Si le confinement est néfaste pour certains couples – je ne parle pas des femmes battues ni des victimes de pervers narcissiques –, s’il provoque des tensions, ce n’est pas le cas chez nous. Il a apporté une proximité qui me rassure. J’enlace et j’embrasse mon amoureux des dizaines de fois par jour. Sa force m’aide à garder les pieds sur terre.

    Les heures défilent, les activités s’enchaînent. J’essaye d’être imaginative pour que Melchior, qui a mal vécu les premiers jours de confinement et a beaucoup réclamé Alix et son oncle Lucas. On fait des jeux, de la peinture, des bulles de savons, des parties de basket, de la pâte à modeler, des dessins au feutre sur papier ou à la grosse craie sur le sol de notre terrasse, des constructions de Lego, des courses de voitures. Melchior a beaucoup évolué en l’espace d’un mois. Son vocabulaire s’est enrichi, son élocution est plus fluide. Il a appris l’alphabet et sait épeler son prénom. Nous sommes émerveillés par ses progrès, sa capacité d’observation. Petit à petit, il devient autonome, commence à jouer seul. 

    Bientôt enfermés tous les trois à la maison © Mickael Gautier

    Honnêtement, le fait de nous retrouver tous les trois, d’avoir un rythme différent du quotidien qu’on croyait rassurant, cette sensation de vacances sans être en vacances, me fait un bien fou. J’ai un peu honte de l’avouer surtout quand je vois tous ces gens se plaindre sur les réseaux sociaux d’être enfermés. Je comprends leur frustration, leur tristesse, leur vulnérabilité. Forcément, dans cette situation, toutes les émotions sont amplifiées. Et le chômage partiel n’arrange rien. Puis, il y a ces questions qui nous titillent: comment sera l’après-coronavirus, le fameux “déconfinement“ qu’évoque la presse? Ce néologisme, je le déteste, il me fait penser à “déconfiture“ et moi, cet enfermement, je ne le vis absolument pas comme un échec, une source de sentiments négatifs. Au contraire, il m’est bénéfique en me permettant de prendre soin de ma famille, d’avoir un rythme plus sain, de réfléchir, de découvrir de nouveaux moyens d’expression créative, de nouvelles idées et de nouvelles envies. Il m’ouvre les yeux sur la vie que je veux vivre. Il dévoile un aspect de ma personnalité qui me motive. Je me sens bien avec mon homme et mon fils près de moi. Et si je pouvais serrer ma fille contre mon cœur, ça serait merveilleux. Nos retrouvailles n’en seront que plus émouvantes. Je sais que ce jour-là je vais pleurer. Beaucoup. Et qu’elle, en bonne adolescente, montrera un visage à la fois ému et perplexe. 

    Demain, quand nous serons à nouveau libres, beaucoup de choses vont fleurir de cette expérience étrange, de cette aventure inédite, et nous regarderons la vie autrement. Pour moi, la “normalité“ telle que nous la connaissions n’existe plus et c’est tout ce que je nous souhaite. 

    Photos © Mickael Gautier